MARY ♣ the road so far.

Je ne dis jamais que la vérité. Mais la vérité dépendra de la personne en face de moi. Et quelle qu'elle soit, cette vérité semble toujours si invraisemblable que la plupart des gens, par peur je suppose, décideront inconsciemment de croire que je mens. Je ne m'en plains pas. Pour vous, la vérité sera que j'ai fait des conneries, de grosses conneries. Enfin, tout est relatif, puisque je suis plutôt fière de mon passé. Mais votre foutu gouvernement en a décidé autrement. Les poseurs de bombe, ils ont un gros problème avec ça. A ça y est, je commence à vous faire frémir, n'est-ce pas ? Toujours est-il que je me suis retrouvée en prison. Pourquoi ? Parce que j'avais posé des bombes voyons, vous me suivez un peu ? Pourquoi j'ai posé des bombes ? Il y a plusieurs rumeurs qui circulent, je vous laisse choisir celle que vous préférez. Bien sûr que non je n'ai pas honte, quelle idée. Mais je ne vous fait pas confiance, c'est tout. Je ne vais pas me mettre à raconter ma vie au premier inconnu venu, alors qu'Interpol me recherche probablement toujours ! Enfin, passons. Bref, j'étais dans cette prison sordide pour femmes, dans l'Illinois, et un beau matin, on m'annonce que je suis transférée. Où, je n'en ai aucune idée, et franchement, ça ne me préoccupe pas plus que ça. Tout ce que je veux savoir, c'est comment sortir de ce trou à rat, et de préférence, éviter la chaise électrique. Heureusement, je peux compter sur quelques contacts, à l'extérieur. Mon frère, Cillian, et ma fille, pour être exacte. Ma fille est vraiment une très bonne élève, vous devriez la rencontrer. Elle n'avait que dix ans à l'époque, mais elle a admirablement bien joué son rôle. Même si durant l'évasion, j'ai passé la plus grande partie de mon temps dans le coaltar, c'est bien l'un des seuls moments de ma vie que je raconte avec un plaisir ... évident. Tout le reste, il n'y a que deux façons de l'obtenir : en me braquant un flingue sur la tempe, et encore, ou en m'offrant une tournée de whisky. Et si on en est arrivé là, et que je vous déballe tout ça sans rechigner, c'est que vous avez dû comprendre que la deuxième solution marchait bien mieux que la première. Nous en étions donc au moment où fillette haute comme trois pommes se planta au milieu de la route, en plein désert, obligeant le fourgon à faire un écart violent et, malheureusement, très douloureux. Je vous éviterais tous les détails sur la façon dont on me libéra, toujours est-il que nous nous sommes retrouvés au milieu de nulle part, mes mains menottées, affamés, assoiffés. On a braqué les quelques automobilistes que nous avons eu la chance de croiser, nous cachant le jour et fuyant la nuit. On voulait rejoindre la frontière mexicaine, sachant qu'il y avait de fortes chances que le FBI soit déjà à nos trousses. On fuyait. Et puis, un jour, on est tombés là. C'était comme un don du ciel, un mirage. C'était notre Eldorado. On s'est dit qu'on allait se cacher là, juste quelques temps. Le temps que tout se calme. Les gens d'ici étaient accueillants, mais méfiant. Mon frère ne voulait pas lâcher son arme, et disons que leur mentalité pacifiste n'était pas vraiment en accord avec la nôtre. Aujourd'hui encore, les nouveaux savent que s'ils ont besoin de quoi que ce soit, ils peuvent le trouver auprès de moi, mais qu'ils peuvent toujours se brosser pour que je sois généreuse. Business is business. Ca va faire sept ans vous savez. Mon frère est parti au bout de trois ans. Il n'en pouvait plus de cette vie-là, vivre au milieu de nulle part, ignorés de tous, tels des fantômes, ça ne convient pas à tout le monde. Nous, on n'est restés. Parfois, je me tourne vers l'Est, et je repense à tout ce que j'ai fait, à cet enchainement de situations qui m'ont amenés ici. Mon ancienne vie me manque, parfois, mais c'est un manque qui se comble facilement ... Dites, maintenant que j'ai répondu à vos questions, vous me resservez un verre ?

Les mensonges les plus réussis se doivent d'être précis, c'est la première chose qu'on apprend. Avec le temps, j'ai appris à les débiter avec une innocence effarante. Un mot dit ici ou là ont permis aux gens que je côtoie de rassembler les pièces de mon passé. Certains sont persuadés que je mens. Tout ça leur paraît bien trop gros. Si j'étais celle que je prétends être, je ne parlerais pas avec une telle désinvolture, disent-ils. D'autres au contraire me croient, mais mon regard un peu trop dur et mes mots un peu trop secs les découragent de creuser un peu plus. Je suis une sorte de mythe, de part mon ancienneté. Les gens se sont habitués à ma langue de bois. Les nouveaux s'amusent parfois à tenter de me tirer les vers du nez, mais ils se lassent très vite. Les règles se retiennent facilement, par ici. Mon passé ne regardent que moi, et je suis la seule à en posséder la clé. Ma fille elle-même ne connaît pas tout. Mais ça n'a pas d'importance, je lui fais confiance. Après tout, c'est bien pour elle que je reste là. Pour lui offrir un équilibre qu'elle n'a que très rarement connue. L'Eldo est devenue notre petit coin de Paradis.

Vous ne vous lassez jamais, n'est-ce pas ? Et bien soit, je vais répondre à cette question. Mais vous pourriez demander à n'importe qui ici, il vous répondra exactement là même chose. Au mot près. Si c'est la vérité ? C'est à vous de le décider. Je suis née en République d'Irlande, et malheureusement, c'est un des seuls points que je ne peux nier. Mon accent me trahit bien suffisamment. J'ai vécu la guerre civile d'un peu trop près, je suppose que malgré mon très jeune âge, ce fait et les convictions de ma famille ont fortement influencé ma vie. La plupart des conneries dont j'ai parlé précédemment, je les ai faites dans mon pays, comme un pieds de nez aux Britanniques, avant de m'exiler aux Etats-Unis. Ma fille est née là-bas. Son père ? Il n'y a rien à dire sur son père, du moins, il n'y a rien à entendre. Ca ne vous regarde pas. Je pourrais vous dire que c'était un riche ministre ou un sale petit voyou, que je l'aimais ou qu'il m'a violée, peut importe. Quelle version préférez-vous ? J'ai élevé ma fille dignement, je ne vous autoriserais jamais à dire le contraire. J'ai été aidée dans ma tâche par Cillian. Il a fui l'Irlande peu avant moi. Lui et moi, on était dans la même galère. J'ai fait quelques petits boulots pour survivre. L'American Dream ne m'avait jamais réellement attiré, mais maintenant que j'y étais, je me rendais compte de quelle merde c'était. Qui peut encore parler de rêve ? Quoiqu'il en soit, mes conneries, c'était pas la traversée de l'Atlantique qui allait m'empêcher de les continuer ! J'avais des idéaux à défendre moi ! Et deux trois ambassades à faire pêter. Finalement, à trop vouloir tirer le diable par la queue, j'ai fini par me faire arrêter. Et à sérieusement tout remettre en question. J'allais ne plus jamais voir ma fille. Au nom de quoi ? Je vous le demande ! Les années 30 étaient terminées, on ne pouvait plus se contenter de vouloir être l'ennemi public #1. Quoiqu'il arrive, les Etats-Unis continueraient d'approuver les Britanniques, et personne ne serait plus sensible à la mort d'un million de gens à cause de la famine. En Occident, oui, Monsieur. J'ai donc décidé de prendre ... une sorte de retraite. Oui voilà. C'est pour ça que vous me voyez en face de vous, et que vous êtes là à m'écouter débiter mes âneries. Enfin, vous pouvez bien me servir votre sourire indulgent et penser tout bas que je suis folle, si j'étais vous, j'éviterais de le penser tout haut, si vous voulez pas vous retrouver le pied coincé dans un piège à renard, simplement parce que j'aurais omis de vous l'indiquer. Ma fille pose d'excellents pièges, je vous en déjà parlé ?

J'ai quitté ces deux hommes qui me posaient bien trop de questions. Ils n'ont pas compris que ça ne marchait pas comme ça, ici. Quand on prend un nouveau départ, le passé n'a pas d'importance. Je ne comprends pas ces gens qui s'évertuent à remuer les vieilles blessures refermées par le temps. Une balle dans la tête, c'est tout ce qu'il mérite. Pendant un temps, même ma fille a ignoré mes activités sur l'Ancien Continent. Mes actions dans une des branches de l'IRA. Je n'ai jamais été une petite fille modèle, je ne m'en cache pas. Mes parents n'ont jamais eu de quoi m'envoyer à l'école, alors je me suis débrouillée comme j'ai pu. Quand d'autres apprenaient à coudre et à cuisiner, j'ai posé ma première bombe. Mais à force de vivre ça, on se met à se demander à quoi ça sert. Je suis tombée amoureuse très jeune. J'avais quinze ans, et il était beaucoup plus vieux que moi. Mais il est mort désormais, et après ça, je ne pouvais plus, tout simplement, rester là-bas, à tourner en rond. Les gens m'aimaient bien, alors on m'a proposé de rejoindre la branche américaine de notre réseau et j'ai dit oui. Plus rien ne me retenait là-bas, alors j'ai rejoins mon frère, et on a continué, mais là, forcément, aux States, tout était différent. C'était plus grand, plus fort, j'avais l'impression d'être dopée 24h/24. Et vos voyez où ça m'a mené. Personne ne connaît réellement cette part de mon passé. Personne n'imagine un instant les pertes, les espoirs, les rêves et les sacrifices qui ont jalonné ma vie. Je ne m'étale pas dessus, vous vous en doutez. On ignore même jusqu'à mon nom. Mais j'ai réussi à me faire une place, dans cette communauté. Aujourd'hui, on ne cherche plus à savoir qui je suis, mais si ce que je raconte est vrai ou pas. Avec le temps, les priorités ont changé. Mais on m'apprécie, quoiqu'il en soit. Je suis débrouillarde, et bien plus douée en mécanique que certaines personnes dans le camp. Vous cherchez quelque chose en particulier, un tour par chez moi et vous l'aurez. Tant que vous ne posez pas de questions sur sa provenance. Je troque de tout, du médicament au 33 tours, en passant évidemment par les armes. C'est ça qui m'a permis de m'implanter durablement dans la communauté. Mon côté incontournable. Comme un monument, vous ferez probablement au moins un tour dans ma caravane si vous êtes amenés à séjourner par ici. Mais ne craignez rien, je ne mords pas. Ou du moins, je suis facile à apprivoiser.